Cette année, Chabbat et Chavouot vont se suivre, nous invitant à une intéressante mise en parallèle des textes lus.
La parachah Bemidbar commence par décrire l’organisation du campement des hébreux afin de permettre au peuple d’entrer et de prendre possession de la terre d’Israël : les douze tribus devront se répartir dans les quatre directions de l’espace, permettant ainsi d’ouvrir et de protéger en leur centre la place du sanctuaire. Le peuple sera donc rassemblé par ce point central du sanctuaire, au cœur duquel se trouve bien sûr le Saint des Saints. Or celui-ci est caractérisé par le fait qu’il est un lieu vide d’hommes, sauf une fois l’an à Kippour, lorsque le grand-prêtre y entre pour demander pardon. Car c’est précisément dans ce vide créé par le retrait de l’homme au cœur même du peuple que la Présence divine peut venir résider. Comme s’il fallait que le peuple se vide en son centre pour laisser place à ce qui le dépasse et lui échappe, et pourtant par ce fait même, le porte et l’oriente dans l’histoire.
Cette première lecture est corroborée par le texte lu à Chavouot (Exode 19 et 20). On nous dit en effet ceci : les enfants d’Israël « partirent de Refidim, vinrent dans le désert du Sinaï, campèrent dans le désert, et Israël campa là face à la montagne » (Exode 19, 2). Outre la redondance (on nous dit deux fois qu’ils campèrent), les commentateurs nous font remarquer cet étrange passage du pluriel au singulier : ils « campèrent », puis, il « campa ». Pourquoi ? Parce qu’Israël est un peuple profondément pluriel, et ce jusqu’à aujourd’hui. Cette pluralité est un élément positif, puisqu’elle va être institutionnalisée dans la mise en ordre du campement : il faut douze tribus autour du sanctuaire pour que celui-ci émerge au centre de cette pluralité pour lui donner son sens et son unité sans la nier. Le sanctuaire est donc soutenu par cette pluralité, et en constitue le couronnement, non l’abolition.Mais en même temps il réunit cette pluralité par le vide – et non par le plein – puisque ce centre fédérateur doit rester au-delà de toute présence et de toute emprise humaines. D’où l’importance des prêtres qui doivent empêcher tout « étranger » au service de s’approcher de ce centre ou de s’en emparer. Or c’est exactement ce que fait aussi la montagne du Sinaï : c’est face à la montagne, c’est-à-dire à ce qui va l’élever vers des hauteurs insoupçonnées, que le peuple d’Israël retrouve son unité. Mais attention ! Cette unité n’appartient à personne ! Dès que le peuple s’installe en effet autour de cette montagne pour se préparer à y recevoir la Torah, l’exigence divine se fait entendre de manière péremptoire : nul ne devra monter sur la montagne ! L’unité n’est donc pas accessible immédiatement : elle ne peut être visée qu’à travers et à partir de la pluralité qui lui donne accès et la protège. Autrement dit, seul ce vide de la montagne qui nous élève et nous aspire vers le haut, peut nous réunir, précisément parce qu’il nous échappe et indique ainsi une dimension de hauteur qui nous transcende absolument. La Révélation ne pourra donc se faire qu’à partir de ce vide, comme expression de ce retrait de l’humain face au divin qui, en lui laissant la place, fonde les conditions de sa propre unité et du sens de son histoire.
C’est donc bien ce qui nous échappe qui nous réunit. Israël ne se rassemble pas par le plein d’un projet, d’un idéal, d’une définition, d’une croyance, mais par le vide d’un Appel qui se creuse en son sein et l’élance vers des hauteurs insoupçonnées.
Cela signifie que personne ne peut s’approprier le judaïsme, ou croire le posséder – et qu’il n’y aura jamais de définition du Juif. On peut seulement témoigner du judaïsme plus ou moins bien par ses actes, et par la réflexion et l’étude qu’ils suscitent sur la possibilité de les améliorer.