“La Transcendance dit à Moïse : « Dis aux prêtres fils d’Aharon et tu leur diras : pour un mort il ne se rendra pas impur dans son peuple, sinon pour sa femme qui est proche de lui, pour sa mère, son père,son fils, sa fille, son frère, sa sœur » (Lévitique 21,1-3). Pourquoi ?Parce qu’ils « seront saints pour leur Dieu » (Lévitique 21,6). Quantau Grand-Prêtre, c’est encore plus restrictif : « il ne viendra pas
pour toute personne morte, il ne se rendra pas impur même pour son père ou sa mère » (Lévitique 21,11).
Première leçon de ce texte : la mort est contradictoire avec la
sainteté. Toucher à la mort, ou être touché par elle, c’est perdre sa capacité à la sainteté, sa capacité à entrer en relation avec la Transcendance. La mort fait du dégât, pas seulement pour celui qui la subit et qui est retranché de la terre des vivants, mais pour tous ceux qui sont affectés par cette rupture de la relation, par cette coupure sans retour. Elle remet donc en question la capacité de l’homme à la relation, par la déception qu’elle inscrit en elle, par l’abandon qui la fait exploser…
Et c’est parce qu’elle blesse ainsi la capacité même à entrer en
relation que le prêtre – dont la fonction est de créer de la relation, d’enseigner la vie en reliant à la sainteté de la vie – doit en rester à l’écart, doit éviter de laisser happer sa fonction de vie par le trou béant de la mort. Lui doit rester celui qui oriente la vie malgré la mort et en contradiction avec elle : il doit rester le témoin d’un appel qui peut faire rebondir les vivants par-delà la mort et sa fatalité, par-delà le deuil et son essoufflement.
La deuxième leçon de ce texte est bien résumée par le Midrach Vayqra rabah (26,8) : s’il y a répétition du verbe dire dans le premier verset (« Dis aux prêtres fils d’Aharon et tu leur diras »), c’est pour nous enseigner que si le prêtre ne peut pas en règle générale se rendre impur par la mort, il doit faire une exception lorsqu’il s’agit d’un « met mitsvah », c’est-à-dire d’un mort qui nous impose la mitsvah, le commandement de l’enterrer. De quoi s’agit-il ? De quelqu’un qui meurt subitement, et il se fait qu’il ne se trouve là que le prêtre pour pouvoir l’enterrer. Comme d’autres ne peuvent pas
accomplir ce commandement à sa place, le prêtre a alors l’obligation de se rendre impur en procédant à l’enterrement du mort et en lui rendant ainsi sa dernière dignité.
Car si la mort doit être évitée par le prêtre pour sauvegarder sa fonction de vie, la responsabilité que j’ai par rapport à mon
prochain jusque dans sa mort, dépasse cette fonction de vie.
C’est-à-dire qu’elle en est la source.
Le prêtre – même le Grand-Prêtre qui devrait rester pur pour procéder à Kipour au pardon de tout le peuple – a le devoir de se rendre impur pour enterrer celui dont la mort ne saurait le laisser indifférent :
son devoir de responsabilité envers autrui dans son dénuement prime son devoir cultuel et symbolique de pardon et de purification.
Mais n’est-ce pas ainsi que le prêtre nous enseigne comment sa
fonction de purification et de pardon nous mène vers un au-delà de la mort à travers la responsabilité face au dénuement d’autrui. Et y a-t-il plus grand dénuement que la mort toujours possible de l’autre – ou son humiliation ?
C’est dans le dénuement d’une déréliction toujours déjà inscrite dans le corps d’autrui – dans son visage dirait Lévinas – que s’entend l’appel à la vie de la Transcendance par-delà la mort elle-même, et contre elle. C’est cet appel qui donne sens à notre religion et en définit les limites.
Shabbat shalom