PARACHA terouma

TEROUMA

Avec la construction du sanctuaire (la tente de la Rencontre), nous quittons l’histoire et sa trame événementielle pour entrer dans le rite. Et, sauf quelques rares exceptions, nous allons y rester jusqu’au début du livre des Nombres, donc durant presque la moitié du livre de l’Exode, et tout le livre du Lévitique. Pourquoi cette soudaine importance du rite et des prêtres qui en sont les gardiens ?

Cette question est fondamentale lorsqu’on vit dans un univers largement sécularisé, où le rite ne semble plus avoir de sens, parce que tout y est jugé à l’aune de l’efficacité immédiate. La « technique » rituelle n’a-t-elle pas été remplacée par la technique scientifique et rationnelle, autrement plus performante et aux effets immédiatement visibles et pondérables ?

Le rite vise précisément à créer et à préserver un espace symbolique qui ne soit pas soumis au diktat de l’immédiat efficace, c’est-à-dire à l’impérieuse nécessité de l’emprise et de la maîtrise sur nos vies et sur le monde. Il cherche à limiter cette emprise du pouvoir sur nos consciences, pour libérer un espace où une voix autre puisse se faire entendre, une voix capable de réorienter nos vies dans un autre sens : « Ils me feront un sanctuaire et je résiderai au milieu d’eux » (Exode 25, 8).

Cela signifie d’abord que cette voix n’est pas celle de la force et de la puissance, mais une voix qui a besoin d’une demeure, d’un accueil et d’une hospitalité pour pouvoir commencer à se faire entendre. Elle est trop délicate et trop fragile pour être entendue au dehors, dans le brouhaha de nos préoccupations et intérêts immédiats. Elle a besoin d’une caisse de résonnance qui lui soit consacrée pour qu’elle puisse se faire entendre de manière juste et tempérée.

Cela signifie ensuite que cette voix n’est pas destinée à résonner seulement au milieu du sanctuaire : si son lieu premier est le rite, ce n’est pas sa destination finale. Son but, son dessein, c’est à travers le rite et le sanctuaire de parvenir à creuser un espace au milieu même des relations humaines pour en transformer la teneur et la texture.
C’est pourquoi il n’est pas dit : « Ils me feront un sanctuaire et je résiderai en son milieu », mais : « Ils me feront un sanctuaire et je résiderai au milieu d’eux », c’est-à-dire au milieu de leurs relations : c’est uniquement dans la qualité humaine des relations économiques, sociales et politiques qu’une dimension divine peut émerger.

Le but du sanctuaire et de son rituel est donc de transformer en profondeur les relations sociales, de telle manière que cette voix puisse se faire entendre au creux même de ces relations. Et que celles-ci ne soient plus seulement des relations d’intérêt ou des projets communs – des relations d’utilisation réciproque de l’un par l’autre -, mais de véritables lieux de rencontre (la tente de la rencontre), de relations de face-à-face, où quelque chose comme une Transcendance puisse émerger, se faire entendre, et transfigurer les relations humaines.

N’est-ce pas pour cela qu’au centre même du sanctuaire, au-dessus de l’arche d’alliance, se trouvaient deux chérubins qui se faisaient face : ce que ce sanctuaire devait sanctuariser, n’était-ce pas ce face-à-face, tellement important qu’après le Sinaï, Dieu n’a plus voulu donner à Moïse ces commandements ailleurs que dans l’entre-deux ainsi symbolisé et ritualisé ?

Comme le dit notre texte : « Je te rencontrerai là et je parlerai avec toi d’au-dessus du propitiatoire, d’entre les deux chérubins qui sont sur l’arche du témoignage, tout ce que je te commanderai aux enfants d’Israël » (Exode 25, 22).

On ne peut comprendre la notion de commandement si on ne comprend pas le face-à-face qui les soutient tous, porte leur expression et leur permet d’émerger au sens. L’oubli ou l’effacement de ce face-à-face, c’est l’oubli même du seul lieu où l’appel divin et ses exigences – ses commandements – peuvent désormais donner sens et humanité à notre monde.

Chabat Chalom
Yedidiah Robberechts

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