Nous nous approchons du cœur de la Torah, la parachat Qedochim : « Vous serez saints, car je suis saint moi, la Transcendance votre Dieu » (Lévitique 19,2). La sainteté est en effet le but et l’idéal que l’homme doit accomplir dans sa vie : devenir saint comme la Transcendance l’est.
C’est là en effet la ressemblance à laquelle l’homme est convié dès sa création : « Dieu dit : Faisons l’homme par notre image comme notre ressemblance » (Genèse 1, 26). Or lorsque Dieu crée l’homme au verset suivant, il ne le crée que par son image, pas comme sa ressemblance : « Dieu créa l’homme par son image, par l’image de Dieu il le créa, masculin et féminin il les créa » (Genèse 1, 27).
Autrement dit, l’homme tel qu’il est, tel que nous sommes – créé par Dieu –, n’est encore qu’à l’image de Dieu – ce qui n’est déjà pas mal ! – mais pas encore à sa ressemblance : nous ne sommes qu’à moitié faits… Le reste dépend de notre faire – et c’est tout le sens de notre vie et de l’histoire humaine. Notre vie – et l’histoire qu’elle écrit -, c’est le temps que Dieu nous donne pour nous faire, pour nous parfaire, pour devenir ressemblant à Lui, c’est-à-dire saints.
Mais si le but est clair et tellement important, pourquoi Dieu ne nous a-t-il pas créés immédiatement à sa ressemblance ? Nous serions immédiatement parfaits, et l’histoire aussi, sans les guerres, la violence, les souffrances… Pourquoi ce détour – et son prix si lourd !?
Car la ressemblance qui nous est demandée ne vise pas une donnée, un modèle auquel on pourrait ressembler immédiatement en s’y fondant, en y fusionnant. On dit en effet de la Transcendance qu’elle ne ressemble à rien, et ne saurait être comparée à personne : « A qui feriez-vous ressembler Dieu, et quelle ressemblance lui donneriez-vous ? » (Isaïe 40, 18).
Comment alors devenir semblable à Celui qui n’a pas de semblable ? Justement, en devenant quelqu’un qui n’a pas de semblable, et qui en ce sens ressemble à son Créateur ! De la même manière qu’Il est unique et incomparable, de la même manière, chacun d’entre nous doit devenir unique et incomparable !
Mais du coup, le chemin qu’enseigne la Torah et la discipline par laquelle elle nous structure, ne nous mènent pas vers un universel indifférencié, où tous seraient semblables à tous – comme dans les rêves fous des tyrans et de leur administration ! Non : le chemin de la Torah nous enseigne à devenir chacun unique, irréductible, irremplaçable, saint. Et si tel est le but, alors également le chemin qui y mène, ne saurait faire l’économie des pas personnels de chacun vers lui-même et vers sa propre sainteté, sa propre unicité.
Voilà pourquoi il y a une histoire, avec ses déboires et ses prouesses, et voilà pourquoi nous avons chacun notre vie personnelle, avec ses grandeurs et ses faiblesse : parce qu’elle est l’occasion donné pour chacun d’entre nous d’aller vers lui-même face aux autres et à Dieu.
Et notre parachah prépare cette montée vers la sainteté dans ses trois moments principaux : la relation à soi, à autrui et à Dieu. Premier moment (Lévitique 16) : ne pas entrer en relation avec la source de la sainteté – avec Dieu – à chaque moment, mais en étant préparé et prêt à ce faire – à l’image du grand-prêtre qui ne rentre qu’une fois l’an dans le Saint des saints à Kipour. Vouloir trop vite devenir unique, sans le chemin qui y mène, c’est en effet prendre le risque de mourir prématurément, comme les deux fils d’Aharon.
Deuxième moment (Lévitique 17) : ne pas manger – le rapport à soi – en dehors de la relation avec la sainteté – on dirait aujourd’hui ne pas bouffer n’importe comment, ou ne pas se réduire à un pur consommateur dont le ventre et la sensibilité l’emportent sur tout autre critère de comportement et de jugement. Les scènes scandaleuses qui se déroulent dans un nombre grandissant d’université de par le monde, témoignent d’une telle boulimie idéologique où le ventre et ses ardeurs leur tiennent place de tête et en viennent à couper des têtes !
Et enfin troisième moment (Lévitique 18) : ne pas coucher avec n’importe qui et n’importe comment : que la relation avec l’autrui par excellent – l’autre sexe – ne se fasse pas dans la fusion indifférenciée, magmatique et bestiale, mais dans le respect et l’honneur des différences et des faiblesses d’autrui, de la distance qui seule peut me relier à lui par l’alliance.
Shabbat shalom – shabbat de sainteté !