PARACHA Houkat

HOUQAT

Il existe dans la Torah deux types d’exigences (mitsvot) par rapport à l’homme : des exigences dont la rationalité peut être appréhendée de manière assez directe par tout un chacun (les michpatim) et qui relèvent du bon sens juridique commun. Par exemple, l’interdiction du meurtre, de l’adultère, du  vol, du mensonge… Puis des exigences dont la rationalité première semble être inaccessible, et qui ne nous laissent que le choix de chercher des rationalités secondes, des interprétations qui donnent du sens à ce qui en son fond nous échappe. Ce sont les Houqim, ces décrets divins dont la raison ultime nous échappe. Par exemple, la cacherout, les fêtes, la circoncision, les règles de pureté… Ces exigences sont en général non pas juridiques, mais cultuelles, religieuses, et ressortissent donc d’une autre logique que celle de l’immédiate efficacité sociale, politique ou … prophylactique.

Un excellent exemple de cette deuxième catégorie nous est donné avec le rite de la vache rousse (Nombres 19), qui semble défier toute saine rationalité. En effet, les cendres de cette vache étaient mélangées avec de l’eau, et l’on en aspergeait toute personne qui par un contact avec la mort était devenue impure, pour la rendre pure (le principe de l’impureté étant, je le rappelle, la mort). Or la personne pure qui pour ce faire, était amenée à venir en contact avec ces cendres, devenait elle-même impure ! Le même objet avait donc deux conséquences contradictoires : la personne impure qu’il touchait devenait pure, et la personne pure qu’il touchait devenait impure ! Un historien pressé pourrait en conclure qu’il s’agit là tout simplement d’une mentalité magique, et qu’il est temps désormais de se débarrasser de telles inepties dépassées pour que le règne de la raison efficace s’impose sans partage.

Mais ce serait là oublier le rôle du symbolique dans la construction de l’être-ensemble, et le fait que tout dans une société humaine ne peut pas se réduire à de l’immédiate efficacité et à une raison instrumentale…

Voici donc ce que l’ouverture symbolique – et non magique – peut nous laisser entendre de ce rite, sans prétendre en faire le tour ni en donner le sens dernier. Je l’ai entendue de la bouche d’Armand Abécassis, et la rend en fonction de mes modestes moyens. Ce rite est lié à la Torah elle-même : « ceci est le décret (houqat) de la Torah que la Transcendance a exigé pour dire… » (Nombres 19, 2). Comme si ce rite nous apprenait quelque chose de fondamental sur la Torah. Et effectivement, l’étude de la Torah a un double effet sur celui qui la pratique : s’il était pur, innocent et naïf et n’avait jamais même pensé à tuer, voler, mentir…, le fait que la Torah interdise le meurtre, le vol, le mensonge… va tout d’un coup le déniaiser et lui apprendre qu’il est possible de faire tout cela ! Il a ainsi perdu sa pureté et est devenu impur – il va devoir affronter ces tentations pour leur résister. Par contre, si celui qui étudie, avait déjà tout vécu et fait sans vergogne, les interdictions que lui signifie la Torah vont lui enseigner à mettre des limites à ses pulsions, et à les orienter dans un sens positif, plus humain : celui qui était impur peut ainsi retrouver le chemin de la pureté.

Cela n’a rien de magique, mais nous met symboliquement en face de l’ambiguïté irréductible qui s’attache à tout enseignement, à toute Torah. Parce qu’elle est travaillée par un appel éthique infini, elle veut ouvrir le réel à l’idéal éthique qui le traverse, et ainsi le faire rebondir vers des horizons inouïs – le faire passer de l’impur au pur. Mais parce qu’elle veut inscrire cet appel dans le réel, elle doit le faire descendre dans celui-ci, le traduire et le moduler en fonction de la complexité du réel et de sa cohérence, et ainsi déniaiser l’idéal – le faire passer du pur à l’impur.

Mais cela n’a rien de traumatisant, car cela nous enseigne que la Torah veut construire une dynamique et en va-et-vient religieux entre l’idéal éthique qui n’a de cesse de nous appeler, et la réalité politique et sociale qui n’a de cesse de nous requérir. C’est au cœur de ce dynamisme et de cette tension que la Torah peut nous enseigner et faire surgir nos existences au sens qui s’y cherche.

Le but du symbole religieux n’est-il pas ainsi de nous ouvrir à une interrogation éthique sans fin, qui se situe bien au-delà – et doit être préservée – d’une rationalité juridique obtuse qui en viendrait à ne plus chercher qu’une pseudo efficacité politique immédiate, et oublierait ainsi le fait que toutes les relations humaines sont aussi traversées de valeurs symboliques qui les structurent et les portent ?

Chabat Chalom
Yedidiah Robberechts

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