PARACHA ki tisa

KI TISSA

Moïse tarde à descendre du Sinaï. Et le peuple ne supporte pas cette absence du Maître. Il lui faut un dirigeant tout de suite, sous peine de se liquéfier, et de perdre toute consistance. Il n’y a rien de pire en effet pour une nation que la vacance du pouvoir. Elle est tout simplement terrifiante, car elle risque de voir le peuple se dissoudre dans une anarchie complète, sans plus d’orientation structurante, ordonnante et pacifiante.

Le peuple se tourne alors vers Aaron, le frère de Moïse, non pour lui demander une idole, mais pour lui demander des dirigeants qui remplaceraient Moïse. Le mot « dieux » utilisé par le peuple signifie en effet dans certains cas (Exode 22, 8) les juges, c’est-à-dire ceux qui ont la capacité de structurer et d’orienter la conduite du peuple (cf. la lecture d’Abraham ibn Ezra).  C’est pourquoi la demande du peuple est ainsi formulée à Aaron : « Lève-toi, fais-nous des « dirigeants » (Elohim) qui marchent devant nous, car cet homme – Moïse – qui nous a fait monter de la terre d’Egypte, nous ne savons pas ce qui lui est arrivé » (Exode 32,1).

Et Aaron s’exécute, car rien dans cette demande ne semble illégitime – et tout laisse à penser que, comme le suggère le peuple, Moïse est mort, après quarante jours passés sur la montagne sans manger ni boire ! Il faut donc un nouveau dirigeant, et ce sera un veau d’or… Jusqu’ici, rien de répréhensible : car si l’acte d’Aaron avait abouti immédiatement à la création d’une idole, il aurait mérité la peine de mort, et sûrement pas de devenir le premier grand-prêtre de l’histoire d’Israël !
Le veau d’or n’est donc pas à priori une idole. Il est comme une constitution ou un drapeau : ce en quoi un peuple reconnaît son unité et qui lui permet d’envisager un avenir viable, parce qu’il lui rappelle ce qu’il vise : la Transcendance. C’est ce qui permettra à Aaron de dire après la fabrication du veau d’or : « Fête pour la Transcendance demain ! » (Exode 32, 5). Ce veau n’empêche donc pas ipso facto le service de la Transcendance…
Où est donc la faute ? Car faute il y a, et elle va être durement réprimée dans la suite (Exode 32,28). La faute n’est pas d’instaurer une médiation entre le peuple et la Transcendance pour qu’il puisse retrouver un principe organisateur et directeur. Non. La faute tient dans l’ambiguïté de cette médiation, qui ouvre la possibilité d’une méprise, c’est-à-dire de l’idolâtrie.

Et c’est là une des grandes leçons de ce texte : la médiation, aussi juste et justifiée qu’elle paraisse dans son intention, risque toujours d’être mal comprise et de virer à l’idolâtrie, c’est-à-dire de se voir divinisée. Voilà pourquoi nous ne sommes jamais sortis de cette tentation, et voilà pourquoi on a fait porter la responsabilité de la fabrication de ce qui deviendra une idole à Aaron le prêtre ! Tout le travail du prêtre – et de la religion – se construit au creux de cette tentation – la médiation avec la Transcendance -, et doit sans cesse lutter contre elle pour viser la sainteté.

Quelle est donc la faute ? Lorsqu’une partie du peuple (3000 personnes) dit : « Voici tes dirigeants (dieux) Israël qui t’ont fait monter de la terre d’Egypte » (Exode 32,4). Le peuple pense apparemment que la force qui a fait agir Moïse lors de la sortie d’Egypte, est désormais présente dans le veau d’or, et remplace complètement la médiation de Moïse : un nouveau Moïse remplace l’ancien, avec une nouvelle loi ! Il y a substitution totale !

Oui mais voilà : Moïse de son vivant – et même dans sa mort – n’a jamais accepté cette divinisation de la médiation dont il aurait pu faire l’objet. Il a toujours protesté et rendu à la Transcendance ce qui lui revenait : sa transcendance… C’est pourquoi la médiation de Moïse suppose une grande part d’absence (40 jours !) pour pouvoir se réaliser. Ce n’est pas le cas du veau d’or qui se laisse diviniser sans broncher – en ruminant peut-être…

C’est pourquoi le principe de la médiation doit rester humain, et donc mortel, pour ne jamais être divinisé. La médiation religieuse est là pour témoigner d’une Transcendance qui la dépasse et qu’elle ne contient pas, malgré le clinquant de son or et l’évidence de sa présence. Elle renvoie à un Autre qu’elle-même, à un appel éthique qui résonne en elle mais qui la dépasse de l’infini de son appel.

C’est parce que le peuple n’a pas été capable d’affronter l’ambiguïté de cette médiation par l’absence, que les prêtres vont se voir chargés à sa place du gardiennage de cette délicate médiation vers l’Infini et vers son appel.

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